Une Suisse à Shanghai ... blog d'une expat en Chine

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Faire des affaires en Chine ou la bonne excuse pour se péter la tronche en toute impunité

Avant j’avais un job et je passais des heures à en parler. Mais c’était avant.

Maintenant je n’en a pas alors j’écoute les autres me parler du leur. Je dis « les autres », mais c’est faux. Il n’y a qu’une personne qui travaille dans mon entourage, c’est mon mari.  Car mes copines et moi sommes les plus grandes glandue d’Asie.

 

Chaque soir, j’écoute mon homme parler de son job pendant des heures et j’écarquille les yeux à la manière d’un merlan frit lorsqu’il m’explique comment on fait du business en Chine.

 

Au début, il était tout excité à l’idée de faire ses premiers rendez-vous d'affaire. Comme d'habitude, il avait préparé des magnifiques présentations powerpoint. Il était très confiant parce qu’il avait des arguments en béton.

 

Il sortait de ses rendez-vous gonflé à bloc en se disant que somme toute la Chine, ce n’est pas si compliqué... 

 

En fait, il venait de se planter en beauté mais ne le savait pas encore.

 

En Chine, la conclusion d’un contrat se passe bien différemment. C'est ainsi que les collègues de mon mari lui ont expliqué les us et coutumes :

 

La première chose absolument contre-intuitive avec la Chine est de penser que si vous proposez un business attractif, votre interlocuteur va foncer et saisir l'opportunité. En fait, votre interlocuteur veut travailler avec des "friends". Ils utilisent vraiment ce terme et ce n'est pas une erreur de traduction.... En résumé, si le chinois ne vous considère pas comme un ami, il ne fera aucune affaire avec vous. 

 

Alors, comment devient-on le "pote" d'un gars avec qui on arrive souvent à peine à échanger en anglais? Le premier rendez-vous est toujours informel, on échange sur la famille, la région d'origine, on effleure le business mais de manière générale, bref on parle de soi, on se met à nu... Puis. à un moment. va arriver le dîner d'affaire. 

On pense qu’il suffit de réserver une table dans un bon restaurant, de commander une bonne bouteille de rouge et de parler du monde, des vacances et un peu de business... Re-plantage. 

 

Premièrement, il vaut mieux que ce soit un restaurant chinois: les chinois aiment manger exclusivement... "chinois".... Avec le fameux plateau tournant sur la table où les plats vont défiler devant vous toute la soirée. Deuxièmement, tout est codifié: celui qui invite s'assied à la place où la serviette est la plus grande. A sa gauche, son invité le plus important. Et ensuite, on commande l'alcool : le fameux Baijiu. C'est le Bordeaux des Chinois, à une petite exception près, c'est que c'est un alcool fort (40-60 degrés selon le type), transparent qui ressemble à de la Vodka... C'est pas mauvais paraît-il, mais ça arrache.

 

Et là, à chaque gorgée, vous devez faire "santé" avec quelqu'un: exclu de siroter son verre dans son coin, c’est très mal vu. Si le futur "pote" en question vous dit "Ganbei!", c'est parti pour un cul-sec. Ce n'est que le premier de la soirée. Vous allez alors voir vos convives enchaîner les Ganbei, parler de plus en plus forts. Vous allez les voir devenir totalement bourrés sous vos yeux,  se lever pour tourner autour de la table et faire Ganbei avec un gars à l'autre bout de la table, vous, par exemple, en vous hurlant à l'oreille : "You, you are my friend!!". 

 

Cette scène surréaliste se combinera avec ce que considère les occidentaux comme un manque d'élégance: le bruit de la nouille que 10 convives sucent dans leur assiette, le crachat des os trouvés dans la viande (le beau morceau de viande sans os n'existe pas....), les rots, etc.

 

En fait, en Chine, il y a quatre manières de faire des repas d'affaires amenant au statut de "friend" (= le statut gold des compagnies aériennes...) tant recherché:

1) Fumer  

2) Boire

3) Chanter du karaoké  

4) Offrir des prostituées.

 

Boire est en général l'option la plus utilisée par les hommes occidentaux. (Paraît-il… je ne suis pas là pour vérifier ça en personne.)

 

Et heureusement, il est tout à fait acceptable qu'un occidental boive un verre de vin rouge ou une bière et parte après 2 ou 3 heures de repas.

 

 

Quelques décodages supplémentaires pour finir:

 

1) Ce qui pour nous passe pour une joyeuse réunion d'alcoolo, a un but: les chinois considèrent qu'un homme alcoolisé fait tomber ses défenses et révèle son vrai "moi" (la mise à nu dont je parlais avant) et la révélation de ce moi, permet de bâtir la confiance. Être "friend" veut dire en fait "se faire confiance". 

 

2) Les repas chinois sont très vivants et pas du tout ennuyeux comme certains repas occidentaux. De plus, les gens sont souvent touchants, vrais.

 

3) En meeting, les chinois n'aiment pas les présentations powerpoint et les choses trop formelles. Ils considèrent ceci comme trop "artificiel", pas assez authentique... En tant qu'occidental, il est dur d'éviter une approche structurée parce que sinon on est perdu dans des tas de non-dits difficiles à gérer...

 

4) Avant d'être "friend", le chinois n'aime pas la transparence: il ne parlera pas volontiers de ce qu'il pense ou de ce qu'il veut. Il a peur de se mettre en danger en n'en révélant trop.... Il vous dira "oui" pour que vous ne perdiez pas la face mais en fait pensera "non". Par contre, une fois le statut de "friend" obtenu, il sera beaucoup plus franc et direct. 

 

 

Que mes amies, les femens ukrainiennes, se rassurent : il paraît que lors des repas d’affaire, les femmes se pètent la tronche tout autant que leurs collègues masculins, en fumant et chantant au karaoké comme des délurées. C'est ce qui m'a été dit pour calmer mon agacement face à ces soirées déjantées. Reste à savoir si c'est vrai ou a-t-on juste peur que je dégomme mon rouleau à pâtisserie...

 

 



07/12/2015
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